Une conversion
récente aux Indes
L'histoire des
conversions est toujours instructive; celle du Dr Zacharias offre un intérêt
particulier d'abord à cause de la variété des expériences religieuses par
lesquelles l'auteur a passé pendant dix-huit ans il fut successivement athée,
agnostique, déiste, franc-maçon, occultiste, védan- tiste; ensuite, et surtout,
parce que ce fut précisément l'insuffisance expérimentée des diverses solutions
apportées par les différentes sectes au problème religieux, depuis la plus
négative jusqu'à la plus élevée, qui amena cette âme, avide de lumière, au
catholicisme intégral.
Le lecteur ne
trouvera pas dans ces pages, une analyse psychologique raffinée, comme dans les
autobiographies d'un Newman, ni des discussions philosophiques subtiles; mais,
comme s'exprime l'auteur, l'évolution d'un œil presqu'atrophié, recouvrant
graduellement sa capacité native de voir capable d'abord de distinguer
seulement quelques rayons, et petit à petit recevant plus de lumière, en
proportion directe de sa réceptivité croissante et de sa sensibilité recouvrée
aux rayons lumineux..
Histoire
extrêmement encourageante pour ceux qui cherchent sincèrement la vérité; très
instructive aussi pour les croyants. Cette lente ascension d'une âme vers la
vérité totale montrera que la grâce, souvent, ne brûle pas les étapes; elle
leur apprendra que, dans l'erreur même, se rencontrent des âmes déjà
catholiques de désir qu'il faut traiter, non pas avec un dédain plein de suffisance,
mais avec pitié et même avec respect. Aux apologistes elle enseignera à
patienter, à ne pas s'étonner des lenteurs, ni s'indigner des retards ou des
détours, à ne pas vouloir brusquer les convictions, mais à adapter leurs
méthodes aux dispositions présentes de ceux qu'ils veulent éclairer et à régler
leurs initiatives sur le mouvement même de la grâce intérieure.
***
Le point de
départ de la conversion de M. Zacharias fut le mysticisme hindou et la
maçonnerie ésotérique anglaise. En effet, élevé dans le luthéranisme le plus
libéral, il ne put défendre ce christianisme atrophié contre les influences des
milieux universitaires allemands et dès cette époque il l'abandonna, pour
tomber d'abord dans l'athéisme, puis dans l'agnosticisme. Toujours mal
satisfait, il s'adonna aux sciences occultes, s'engagea dans la
franc-maçonnerie ésotérique, pour devenir enfin védantiste. Ce fut,
croyons-nous, lors de son premier séjour aux Indes, en 1919. Ce voyage. lui
permit d'admirer les villes célèbres de ce pays merveilleux et lui fournit
l'occasion de causer avec Gandhi et bon nombre de dirigeants indiens. A Pouna,
où il se fixa, il fit connais- sance avec des Servants of India Society dont le
dévouement et l'esprit de sacrifice l'enthousiasmèrent. Gobal Krishna Gokale,
en effet, dans le noble but de spiritualiser la vie publique avait créé, en
1905, plus ou moins à l'instar de nos ordres religieux, une association dont
les membres doivent consacrer leur vie à la cause du pays dans un esprit
religieux. Ils veulent organiser l'éducation politique, après des études
approfondies, promouvoir des échanges de relations cordiales et de coopération,
aider les classes arriérées... à monter au rang qui leur est dû dans l'Etat”.
Cette société publie un journal hebdomadaire très important. M. Zacharias
devint coéditeur du journal, prenant comme rubrique spéciale les affaires
étrangères. Il fut conquis par l'Inde au point de vouloir vivre à l'indienne,
revêtant le dothi et le naghri, mangeant avec les doigts les plats du pays,
saluant à la manière hindoue; bref il devint hindou avec les hindous.
L'étude du
mysticisme hindou amena naturellement son attention sur le mysticisme chrétien,
et ainsi le Christ rentra dans sa vie! Vers la même époque, élevé aux grades
supérieurs de la maçonnerie qui exigent une profession de foi trinitaire,
malgré les restrictions et les réserves intérieures dont il l'entoura, il prit
sa nouvelle dignité très au sérieux. < Bien que pour la plupart le grade de
Rose-Crcix > ne signifie pas grand chose, il n'y a pas de doute qu'il me
ramena au Christianisme Le résultat de ses études mys- tiques et de ses
réflexions fut qu'insensiblement il se convainquit que le christianisme mérite
une sérieuse attention. << Graduellement cette conclusion s'imposa à moi
d'une façon irrésistible: si, après tout, le christianisme possède tant de
richesses, il serait illogique de ne pas en tenter une expérience loyale, pour
découvrir si peut-être mes désirs et mes vagues aspirations ne trouveraient pas
leur satisfaction dans ce même christianisme auquel j'appartenais par
naissance, mais que j'avais méprisé jusque-là, avec l'orgueil d'un ésotérique, comme
bon seulement pour le vulgaire >.
Certes Zacharias
ne croyait pas encore à la vérité du christianisme; mais il se persuada que la
véritable attitude scientifique consistait à suspendre son jugement et à
expéri- menter la vérité des doctrines, en agissant comme si elles étaient
vraies. Du catholicisme il ne pouvait être question en ce moment, étant trop en
dehors du cercle des préoccupations d'un anglo-saxon; il se tourna donc vers
l'Église d'Angleterre. Pour commencer son expérimentation, il crut que la
première démarche à faire était d'assister à l'office du dimanche. Après tout,
ce n'était pas très compromettant, et c'était une façon de passer sa soirée
aussi respectable que d'aller an elub. Graduellement son assistance aux
services divins devint plus assidue. Bientôt il crut que la sincérité de
l'expérience qu'il tentait, exigeait qu'il s'efforçât de mettre sa conduite
morale en harmonie avec les préceptes chrétiens. Le succès de ses premiers
efforts pour conquérir la maîtrise de soi l'encouragea et lui inspira le désir
de supprimer, l'un après l'autre, les gros péchés qui alourdissaient sa
conscience. Jusqu'ici il n'avait même pas songé à la grâce; il ne faisait
qu'une expérience scientifique. Mais il se heurta bien vite à un obstacle
insurmontable: un péché tellement incrusté en lui, par une habitude de
vingt-cinq ans de faiblesse, et devenu comme une partie intégrante de lui-même,
qu'il n'y avait pas d'espoir de pouvoir s'en débarrasser. Son désir de
libération s'en exaspéra; et dans son impuissance désespérante il se jeta dans
le bras de la miséricorde du Christ. Il fit sa première communion et dès ce
jour il sentit son âme libre.
Un voyage en
Terre sainte l'impressionna vivement. Pour la première fois les scènes
évangéliques devinrent des réalités pour lui, non seulement des réalités d'un
passé depuis longtemps disparu, mais des réalités vivantes et présentes. Au
saint Sépulcre, il pria en versant des larmes.
Il avait habité
jadis Londres, alors qu'il était agnostique. Son retour dans la capitale fut un
vrai voyage de découvertes: il trouva le Londres des églises. Une visite dans
le principal temple Low Church le mit en fuite; maisil se sentit vivement
attiré par l'église All Saints, l'une des plus << High Church de Londres.
Il fut immédiatement conquis non seulement par l'exquise beauté de l'édifice,
la splendeur imposante des cérémonies, le sermon pieux du vicar»; mais surtout
par l'atmosphère de dévotion catholique et de prière eucharistique. Il devint
un paroissien enthousiaste.
Le vicar le mit
en relation avec les moines de l'abbaye de Caldey, six mois avant que ceux-ci
fissent leur soumis- sion à Rome. Ce premier contact avec la vie bénédictine le
transporta au point que la vie du monde extérieur lui parut un chaos d'anarchie
et de folie. Sa première entrevue avee l'abbé cependant lai donna un rude choc.
Dès l'abord, celui- ci lui demanda pourquoi il ne songeait pas à se faire
catho- lique, au lieu de s'inquiéter des sectes anglicanes! Et sans préambules,
comme une chose qui va de soi, il proposa de se confesser!
La retraite que
le Dr Zacharias fit sous la direction des moines, marque un moment désisif dans
sa vie. Il prit connaissance de la littérature catholique de dévotion, qu'il
apprit à apprécier plus que les livres protestants; il se forma aux habitudes
de la piété distinctement catholique, comme la récitation des heures canoniales
qui le charmèrent. Mais le résultat principal de ces jours de solitude, fut de
lui inspirer un vif sentiment de la gravité du péché aussi tit-il une
confession générale avec une profonde contrition et de ce jour la pratique de
la confession fréquente devint une partie intégrante de sa vie religieuse. En
quittant l'Angleterre Zacharias était done catholique de pratique et de
dévotion; intellectuellement un long chemin lui restait à parcourir.
***
Revenu aux Indes,
il reçut la confirmation, et se posa en paroissien fervent et en
anglo-catholique convaincu. Une conséquence bien inattendue de sa vie
religieuse intense fut d'éveiller en Ini une antipathie croissante contre la
franc-maçonnerie. Certes, la maçonnerie anglaise n'a rien d'anticlérical; elle
compte bon nombre de clergymen > anglicans dans ses rangs; et néanmoins elle
lui apparut comme incompatible avec son progrès spirituel il fallait donc se
séparer de cette association à laquelle un long passé le rattachait; la
décision fut pénible; mais il donna sa démission.
Vers la même
époque se place un événement considérable: il fit connaissance avec la
philosophie catholique, dont l'étude devait transformer son intelligence, la
libérer des ( restes latents d'agnosticisme et d'idéalisme, et, à son insa, lui
donner une mentalité catholique. Le livre qui l'introduįsit dans ce monde
nouveau fut le manuel de philosophie du P. Maher, S. 1. Pour un esprit
indiscipliné comme le sien, cette lecture ne fut pas une entreprise aisée; mais
ses efforts acharnés furent largement récompensés: elle fut pour lui une
véritable révélation. Pour la première fois le Dr Zacharias, comprit que la
philosophie n'est pas un vain amusement de l'esprit ou un simple jen de
dialectique, mais un essai loyal et sérieux d'expliquer le monde et de résoudre
les grands problèmes qui intéressent tout l'homme. La puissance et l'harmonie
de la synthèse thomiste, sa solidité et sa elarté lui procurèrent le plein
repos de l'esprit Ayant marché à tâtons, pendant toute ma vie dans le
brouillard intellectuel du matérialisme et de l'idéalisme, je me trouvai tout à
coup marchant en pleine lumière dans un paysage de beauté exquise et plein de
vie... Je sentis que le réalisme catholique avait non seulement procuré ma
délivrance du cauchemar de vivre dans le chaos, mais m'avait rendu la faculté
de la raison elle-même >.
Quelle que fut la
ferveur de sa vie et son attachement à l'anglicanisme, il ne pouvait échapper
au problème qui nécessairement se pose à tout anglo-catholique, du fait même de
ses aspirations catholiques et de sa séparation d'avec l'Église romaine. Quelle
est la position de l'anglo-catholicisme en face du reste de la chrétienté? Une
étude sérieuse, tant des livres anglicans que catholiques, lui laissà la
conviction que les preuves historiques sont impuissantes à trancher
définitivement la question de l'infaillibilité; mais la raison lui parut
démontrer que l'existence d'une autorité humaine infaillible devait
nécessairement arrêter toute recherche de la vérité et partant tout progrès
intellectuel. Logiquement Zacharias rejeta toute infaillibilité, y compris
celle de la Bible. Aucune Église donc ne jouit de l'inerrance, même
corporativement; aucune n'est complètement exempte d'erreurs. Mais l'Église est
indéfectible: aucune vérité ne disparaîtra complètement; chaque dogme peut être
nié par un nombre plus ou moins grand de sectes; mais il se trouvera toujours
an moins une communauté chrétienne pour le sauver de l'oubli, Dieu ne
permettant pas le triomphe définitif de l'erreur. Dès lors l' Église catholique
» n'est en réalité qu'une aspiration, elle n'est pas une réalité existante.
Cette théorie, qui lui sembla plus satisfaisante que la thèse anglicane des
églises branches, écartait la nécessité de changer de confession ou de songer
même à s'unir à Rome. D'ailleurs une erreur, une grande erreur, peut-être la seule,
entachait le catholicisme romain: le papisme est une hérésie manifeste. Il ne
put cependant s'empêcher de reconnaître la vitalité merveilleuse de cette
Église. La révision du Bréviaire et la codification du Droit canonique,
décrétées par Pie X, étaient manifestement des progrès considérables, progrès
qu'aucune autre église, par défaut d'autorité, n'aurait été capable de
réaliser. Le succès des réformes pontificales contrastait péniblement avec
l'impuis- sance des autres communautés, et néanmoins, fasciné par le prestige
des anciennes Églises orientales, il sympathisait avec cette fraction des
anglo-catholiques, qui, abandonnant l'idée d'une réunion avec Rome, rêvaient
plutôt d'un rapprochement avec Constantinople.
* * *
Depuis son retour
aux Indes sa ferveur ne s'était pas démentie; il était un prosélyte ardent et
convaincu de l'anglo- catholicisme. Cet enthousiasme se refroidit à l'occasion
d'un voyage à travers l'Inde, qui élargit son horizon, jusque-là limité à son petit
milieu de province. Parcourant le pays, de Rangoon à Delhi, et du Penjab au
Travancore, Zacharias put se rendre compte du peu de place qu'occupe dans le
monde cet anglo-catholicisme auquel il s'était attaché; il lui apparut comme un
facteur négligeable, même dans la grande activité missionnaire des protestante.
Ce même voyage
ébranla aussi son admiration pour les Églises orientales. Reçu,
quoiqu'Anglican, dans la communion de la vieille Église jacobite du Malabar,
enseignant et étudiant dans ses monastères et ses séminaires pendant un an, il
put connaître par expérience directe la vie intime de cette antique communauté.
L'enthousiasme du début se calma rapidement; les faits observés le forcèrent,
malgré lui, à reconnaître qu'une église repliée sur elle-même est
inexorablement condamnée à la stagnation. Quel contracte aussi entre les rites
rudimentaires et comme pétrifiés des Jacobites et la liturgie vivante des
Syriaques romains, leurs voisins: cependant celle- ci n'est pas moins syriaque
pour être romaine, ni moins ancienne pour être intensément moderne. Assurément
l'Église jacobite n'est pas entachée d'Érastianisme, comme les Églises orthodoxes
d'Europe; mais il est évident que, pour une église autocéphale, il n'y a pas
d'autre alternative possible: ou bien une succession de luttes intestines entre
les fractions rivales de la communauté, ou bien l'autocratie d'un patriarche,
faillible en fait comme en droit, et néanmoins regardé comme l'unique gardien
de toute vérité et de tout pouvoir. Sa première expérience était donc nettement
défavorable aux Eglises orientales. Le prestige de la grande Église de Constan-
tinople, qui restait toujours sa norme, allait bientôt être ébranlé à son tour.
La lecture de la Somme Théologique de saint Thomas convainquit le Dr Zacharias
que cette Église avait erré dans la question du Filioque; et les intrigues
louches des Églises orientales, cherchant un rapprochement avec les Anglicans,
dans le seul but d'obtenir un soutien politique, lui firent comprendre jusqu'à
quel point ces Eglises sont infectées d'Érastianisme et de nationalisme.
Décidément il n'y avait rien à attendre de l'Orient.
* * *
Jusque-là
cependant ni ses déconvenues, ni ses études de théologie et de philosophie
scolastiques n'avaient diminué sa conviction que la doctrine romaine sur le
primat et l'infailli- bilité pontificale était une monstrueuse erreur. Pour la
première fois les conversations de Malines et certaines déclarations de Lord
Halifax excitèrent le désir de comprendre exactement la portée et la
signification du dogme défini an concile du Vatican. Du jour où il l'examina de
sang-froid et sans pré- jugés, toutes les difficultés s'évanouirent les unes
après les autres. Ébranlé, mais non convaincu de la nécessité de se soumettre
au pape, il résolut de suspendre son jugement et d'observer attentivement les
faits. C'était déjà un grand pas.
Pour un
catholique de naissance, il peut paraître étrange et même incompréhensible,
qu'un homme, admettant tous les dogmes catholiques, se refuse à la démarche
suprême. Mais il ne faut pas se faire illusion: un abîme sépare le catholi-
cisme de toutes les sectes issues du protestantisme. Quels que soient les
points de rapprochement, la divergence porte sur l'attitude fondamentale de
l'esprit, sur le principe même de l'individualisme. A ce point de vue,
l'anglo-catholique est plus proche de la secte protestante la plus extrême, que
du catholicisme romain.
La lumière
cependant ne devait pas trop se faire attendre: elle jaillirait des faits.
L'attitude lamentable, incohérente, contradictoire de l'épiscopat anglican,
dans une question morale aussi importante que celle du néomalthusianisme, fit
ressortir par constraste l'attitude ferme, courageuse et lumi - neuse de
l'Église romaine. Dans cette question, comme dans. celle du divorce, seule Rome
parlait clair et maintenait les principes chrétiens. Au problème des races et
des gens de couleur, seule, l'Église catholique apportait une solution ferme.
Seule encore dans les questions de morale politique et sociale, s'appuyant sur
sa tradition et les principes de saint Thomas, elle enseignait une doctrine
cohérente et impo- sait une ligne de conduite suivie par ces fidèles. Non
moins. éloquentes furent les leçons de la guerre et des événements d'après
guerre. Le nationalisme donne des fruits de mort; le socialisme aboutit
logiquement au Bolchévisme: son impuis- rance à organiser la société se
manifeste dans tous les pays. Dans le chaos des idées, des appétits et des
passions, l'Église catholique apparaît comme la seule institution capable
d'assu- rer la paix du monde. L'Église romaine en effet est la seule église
vraiment internationale. Toutes les autres commu- nautés chrétiennes sont
essentiellement nationales. Pour les Églises d'Orient la démonstration a déjà
été faite; et l'histoire des dernières années montre le nationalisme les
divisant et les opposant toujours davantage les unes aux autres. Malgré ses illusions,
longtemps entretenues, le Dr Zacharias dut se convaincre qu'après tout,
l'anglicanisme n'est essentiellement que la religion des anglo-saxons, comme
l'hindouisme est celle des hindous une religion ethnique. C'est le nationa-
lisme qui fut la cause profonde pour laquelle Cantorbéry et Constantinople ne purent
s'entendre. Assurément le calvinisme peut jusqu'à un certain point se dire
international; mais il rejette l'idée même d'une église visible seule l'Église
de Rome est à la fois visible et internationale. En approfon- dissant l'idée de
catholicité, il apparaît avec évidence que Rome devait nécessairement condamner
le gallicanisme et tout mouvement séparatiste. Le nationalisme est la contra-
diction même de l'idée catholique. Soudainement le Dr Zacha- rias comprit que
le reproche de fanatisme, lancé par les pro- testants contre l'ultramontanisme,
n'est que l'expression de la crainte et de la haine qu'éprouve le nationalisme
en face du supranationalisme de Rome. La seule sauvegarde du supra-
nationalisme c'est l'ultramontanisme, et, en fait, le seul rem- part du
catholicisme, c'est le pape.
**
Le problème du
primat romain et de l'infaillibilité se reposait donc encore une fois devant
lui. La solution vint d'où on devait le moins l'attendre. Poursuivant sa
lecture de la Somme théologique, le Dr Zacharias constata que saint Thomas
avait soutenu, touchant l'Immaculée Conception, la doctrine condamnée par Pie
IX. Quelle aubaine pour un antiromain! Mais non; l'étude des ouvrages modernes
le convainquit qu'ici aussi ie pape avait raison. Ainsi chaque fois qu'il y
avait eu conflit d'idées, il se trouvait que toujours Rome avait tenu la vraie
doctrine! « Pour la première fois, je tressaillis de joie d'être de l'avis du
pape, fût-ce contre saint Thomas».
Le problème dès
lors se précisait en ces termes: le choix entre l'individualisme protestant et
le catholicisme papal: il n'y avait plus d'autre alternative. Or le principe du
libre examen est un obstacle au vrai progrès intellectuel. Le progrès suppose
la continuité dans l'effort, l'individualisme rend celle-ci impossible. Le Dr
Zacharias arriva à cette conclusion par l'observation des faits. Ses études
l'avaient familiarisé avec l'idée d'une philosophia perennis, une philosophie,
non pas constituée par un génie individuel, et contredite par la génération
suivante, mais élaborée corporativement, au cours des siècles, par une lignée
de penseurs, dont chacun transmettait fidèlement à ses successeurs les trésors
intellec- tuels reçus des ancêtres, intacts, mais enrichis par son labeur
personnel. Aucune autre école, pas plus celle des néoplato- niciens que celle
de Kant ne peut rivaliser en durée et en stabilité avec la scolastique.
Pourquoi? La scolastique a duré, précisément parce qu'elle est l'œuvre collective
des générations, sous la direction de l'Église, en prenant pour norme, au moins
négative, les vérités garanties par la révélation. La philosophie indépendante
ne reconnaît que la raison individuelle, et c'est apparemment la cause de sa
faiblesse : aussi, l'histoire montre que la pailosophie indépendante, dans la
mesure précise où prévaut l'individualisme, aboutit al morcellement des écoles,
au chaos, à l'éternel recommencement.
Le même phénomène
se remarque en théologie. En dehors de l'Église, des penseurs individuels ont
essayé de bâtir: mais ce que l'un édifie aujourd'hui, au nom de la raison
individuelle, l'autre le démolira demain, au nom de cette même raison. Le
résultat de l'individualisme ne peut être que la confusion; et l'histoire des
variations protestantes le montre avec éloquence. Pour l'individu, vouloir ne
pas penser comme l'Église, c'est souhaiter l'erreur et l'anarchie.
Mais alors que
devient la liberté de pensée?
Il est manifeste
que cette liberté ne peut être illimitée, sinon il est impossible qu'il y ait
une philosophie éternelle une theologia perennis. Si dans la construction d'une
maison, chaque ouvrier a la liberté de renverser les fondements déjà posés,
pour les remplacer par d'autres, il est évident que jamais le bâtiment ne
s'achèvera. Ces restrictions à la liberté individuelle rendent-elles impossible
toute liberté de discus- sion, étouffent-elles tout effort intellectuel?
L'histoire du dogme de l'Immaculée Conception montre le contraire,. la
discussion s'étant poursuivie pendant six siècles. Un jour cependant vient où
la discussion doit cesser pour permettre de faire un pas en avant, pour rendre
possible la construction de l'etage supérieur de l'édifice théologique.
Bien plus, pas de
théologia perennis, pas de vrai dévelop- pement in eodem sensu et in eadem
sententia, sans une autorité infaillible. Si chaque question peut être
indéfiniment réouverte, on piétine sur place, c'est le recommencement perpétuel
et le progrès est impossible; si la décision finale n'est pas infaillible,
comment le travailleur individuel sera-t-il certain que cette décision répond à
la vérité: si elle n'est pas infaillible, aucune question ne peut être
considérée comme définitivement close et au-dessus de toute controverse. La
notion même d'une théologie éternelle implique donc celle d'infaillibilité. Et
voici la contre-épreuve: en fait, il existe une théologia perennis, une seule,
la théologie romaine. Or cette théologie se réclame précisément d'une autorité
infaillible, celle du pape.
Ainsi j'étais
arrivé par déduction à la nécessité logique de l'infaillibilité pontificale;
par induction, j'avais découvert déjà que dans les nombreux cas, où cette
autorité avait tranché définitivement les débats, toujours sa décision avait
été sans erreur; la conclusion finale me semblait irrésistible:
l'interprétation vraie des arguments historiques en faveur du primat romain, ne
peut être que celle acceptée par l'Église catholique et dont elle a vécu..
Le Dr Zacharias
fut reçu dans l'Église catholique le samedi-saint 3 avril 1926, dans la
chapelle du Séminaire de Kurseong.
***
La grande leçon
qui se dégage de ce récit, c'est que seule l'Église catholique, possédant la
pleine vérité, est capable de donner l'entière satisfaction à notre soif de
vérité.
Ces pages
suggèrent une méthode d'apologétique, consistant à montrer l'insuffisance de
toutes les solutions apportées au problème religieux, en dehors de l'Église. En
les examinant une à une, on décèlerait dans chacune d'elles, le mensonge
implicite qui s'y cache, et l'on ferait voir que l'inquiétude religieuse, qui
est au fond de toute âme humaine qui réfléchit et les exigences déposées en
nous par la grâce ne trouveront leur parfaite satisfaction que dans le dogme
catholique. Un écrivain de talent, M. Maurice Brillant, esquissait rapidement
les grandes lignes de cette méthode. Qu'on nous permette de citer cette page
intéressante, en terminant: Prenez l'homme ordinaire, qui n'a pas médité, qui
vit sur des principes à lui transmis, sans qu'il s'en soit même douté, ou
recueillis tout au hasard, qui trop vite ou trop pressé... a résolu vaille que
vaille le problème de sa destinée. Forcez-le à considérer ce choix qu'il faut
faire entre diverses façons de concevoir sa vie et par conséquent, de la
conduire, ou, si vous le voulez, car, en fait, le problème se simplifie de
cette manière,-- entre l'affirmation et la négation, entre le bien et le mal.
Ne laissez pas
répondre qu'il se désintéresse de ce choix: car il nous est imposé par la
nature elle-même. Montrez-lui que refuser de choisir, c'est déjà choisir et
choisir un parti bien déterminé; que la réponse négative est une véritable
réponse... que le suicide moral est impossible, car il faut que l'homme veuille
quelque chose et du moins qu'il veuille vouloir.
« Ce premier pas
est d'une conséquence infinie. Il faut bien accepter de faire quelque effort,
de tenter quelque démarche. Mais quelle en sera la direction? Et par quel
chemin nous engagerons-nous? Choisissons le plus aisé ou celui qui paraît tel.
En commençant par les plus simples et qui exigent moins de notions acquises,
examinons successi- vement les réponses diverses qu'ont faites les hommes à
cette grande et unique question, elles ne sont pas en nombre infini et se
ramènent facilement à quelques types fort clairs. -Essayons mentalement toutes
les pratiques, épuisons toutes les solutions. Rien ne pourra nous satisfaire
parfaitement, ni mettre une paix définitive en notre intelligence. Vous suivrez
l'une après l'autre les avenues de la vie et de la pensée. Il faudra toujours
vous arrêter assez vite; car ce sont des impasses. Toutes les autres voies
étant ainsi fermées, vous vous convaincrez... qu'une seule subsiste..., la voie
du renoncement et de la mort à soi-même; appel intérieur criant que, pour sauver
son être, il le faut sacrifier et pour devenir pleinement soi-même, il faut se
donner pleinement à ce qui nous dépasse. Car on voudrait vainement rester sur
un palier et s'arrêter à des idéale finis; il faat monter encore et Celui à qui
on se donne tout entier ne peut être que l'Infini.
* Vous irez plus loin... Vous découvrirez
comment et sous quelle forme cet Infini en fait s'est révélé au monde. Et la porte du Christianisme lui sera
ouverte. Il le reconnaîtra luimême quand il l'aura entrevu. Par le bienfait de
la grâce que nous a apportée le Christ et par une éducation chrétienne dont
souvent on n'a pas même conscience, nos exigences spirituelles se sont accrues;
nul ne saurait se borner à une sorte de pâle religion naturelle et, pour
satisfaire notre faim, il nous faut le Christ lui-même et son Église...
<< La
marche que je viens de décrire, longue et faite de mille détours, ou brève et
courant presque en ligne droite, convient aux esprits les plus divers, aux
intelligences les plus alourdies de savoir, comme aux âmes les plus humbles...
La méthode, une en son fond, varie d'ailleurs avec chaque caractère. Certaines
perspectives morales ou métaphysiques n'attirent que médiocrement certains
esprits, et alors on passe rapidement... Ce n'est rien autre que l'analyse de
tout le réel ». E. HOCEDEZ, S. I.
கருத்துகள் இல்லை:
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