Quotes in Tamil

சிருஷ்டிகளை எவ்வளவுக்கு அதிகமாய் நேசிப்போமோ அவ்வளவுக்கும் சர்வேஸ்வரனை அற்பமாய் நேசிப்போம்

- அர்ச். பிலிப்புநேரி

"சிருஷ்டிகளில் நின்று உங்களிருதயத்தை யகற்றி, கடவுளைத் தேடுங்கள். அப்போது அவரைக் காண்பீர்கள்

- அர்ச். தெரேசம்மாள் -

சர்வேஸ்வரனுக்குச் சொந்தமாயிராத அற்ப நரம்பிழை முதலாய் என்னிருதயத்தில் இருப்பதாகக் கண்டால் உடனே அதை அறுத்து எறிந்து போடுவேன்

- அர்ச். பிராஞ்சீஸ்கு சலேசியார்

சனி, 22 பிப்ரவரி, 2025

LE DÉSIR DE VOIR DIEU ET LA MÉTAPHYSIQUE DU VOULOIR SELON SAINT THOMAS

 

LE DÉSIR DE VOIR DIEU ET LA MÉTAPHYSIQUE DU VOULOIR SELON SAINT THOMAS

(suite)

Notre intention, dans cet article, n'est pas d'apporter une nouvelle interprétation de la pensée de saint Thomas, qui s'ajouterait à celles que nous venons de passer en revue; ni non plus de reprendre l'exégèse des textes, sur lesquels tout semble vraiment avoir été dit. Mais peut-être serait-il possible de mieux comprendre la pensée du saint Docteur au sujet du désir naturel de voir Dieu en partant de la psychclogie du vouloir humain, telle qu'elle dérive des principes généraux de sa métaphysique. C'est ce que nous voudrions essayer de faire.

L'exercice délibéré du vouloir, tel que le révèle l'expérience psychologique, est essentiellement l'adhésion de la volonté à un objet particulier, à un bien concret, à une forme de per- fection déterminée. Cette adhésion, selon saint Thomas (1-2, 1, 6) implique nécessairement, comme condition rationnelle, le vouloir de son objet en vue d'une fin dernière. Tout exercice du vouloir requiert toujours l'intention d'une fin, c'est-à-dire d'un objet voulu absolument, pour lui-même; car telle est bien la signification de la fin en tant qu'elle se distingue du moyen: elle exprime ce qui n'est pas voulu pour autre chose que soi, non propter aliud sed propter se, et pour quoi tout le reste est voulu. La fin au sens propre et plénier c'est donc la fin dernière, car elle seule est vouluc uniquement pour elle-même. Ainsi la fin est vraiment ce qui termine l'excrcice du vouloir, aussi bien l'intention que l'exécution, d'une manière absolue.

La volonté, pour saint Thomas (1-2, 1, 1; 8, 2-4), est essen- tiellement et d'abord la faculté de la fin voluntas proprie est ipsius finis; et elle ne tend au moyen que ratione finis et propter finem. Sans doute, dit-il encore, la volonté, considérée comme puissance, est la faculté du bien, de tout bien; mais considérée en tant qu'acte, c'est-à-dire selon son exercice, elle est proprement faculté de la fin: Si loquamur de voluntate secundum quod nominat potentiam, sic se extendit et ad finem et ad ea quae sunt ad finem... Si autem loquamur de voluntate secundum quod nominat actum, sic, proprie loquendo, est finis tantum (1-2, 8, 2, с.).

Cette fin impliquée dans tout exercice délibéré du vouloir est nécessairement aussi une fin concrète, dont l'objet voulu est l'inchoatio (1-2, 1, 6); car le bien abstrait, comme tel, n'a aucun attrait pour la volonté, le bien, au sens propre, étant unique- ment celui qui existe ou peut exister. Cela veut dire que, à l'origine de l'activité volontaire de l'être raisonnable, il y a toujours une option, portant sur un bien concret ayant pour lui valeur de bien total; une forme concrète de perfection dernière, dont l'homme veut faire le but de sa vie; et à laquelle il rapporte toute son action. fître capable d'agir humainement, c'est donc être capable de fixer à sa vie un but dernier concret, et d'y ordonner toute son activité.

Et cette intention d'une fin dernière librement adoptée par le sujet voulant comme l'expression concrète de ce qu'il veut être, et de ce qu'il juge être pour lui le bien total, informe et unifie activement, au moins d'une manière virtuelle, toute sa conduite (1-2, 1, 2; 6, ad 3). C'est ainsi qu'en chacun de ses actes l'homme engage vraiment sa destinée dernière.

De plus, l'acte du vouloir délibéré, adhésion à une forme particulière de bien voulue pour une fin dernière concrète, implique encore, selon saint Thomas, un vouloir naturel et abstrait, qui est l'acte premier de l'exercice du vouloir, et dont le vouloir délibéré est l'acte second c'est le vouloir de la fin dernière, de la béatitude, selon ses conditions générales et abstraites, in communi, qui, en tant que vouloir naturel, se retrouve le même en tout acte volontaire et chez tous les hommes (1-2, 1, 7 et 8).

Ce vouloir de la perfection et de la béatitude in communi entre, à la façon d'un principe subjectif formel, dans la consti- tution même de l'acte volontaire délibéré. Il en est comme la forme a priori, s'il est permis d'employer ce vocable si peu scolastique pour désigner un principe de l'acte volontaire qui n'a rien de kantien c'est-à-dire que l'activité volontaire délibérée s'exerce suivant une forme structurale préformée pour ainsi dire dans la volonté. C'est comine la formule schéma- tique de l'acte volontaire, naturellement inscrite dans la faculté qui doit exercer cet acte; formule abstraite, dessinant son objet suivant ses traits essentiels, ses conditions constitutives formelles; et qui s'applique à une matière concrète, selon les conditions d'exercice du vouloir libre, pour constituer l'acte second de l'activité volontaire. Cet acte second de la volonté est donc une synthèse de l'acte premier et d'une matière, l'un informant l'autre, et d'où résulte l'acte délibéré du vouloir.

Ce vouloir de la béatitude in communi, qui constitue l'acte premier de la volonté, bien que n'étant par lui-même qu'un élément, qu'un principe constitutif, de l'acte volontaire délibéré, est cependant un véritable acte, un véritable exercice du vouloir, mais incomplet, inchoatif. C'est une détermination de la volonté impliquant, comme toute détermination volontaire, un principe de spécification de l'ordre de la connaissance, c'est-à-dire une connaissance de l'objet voulu. L'acte premier de la volonté requiert donc, comme condition constitutive nécessaire, une certaine connaissance de la fin dernière; connaissance abstraite, sans doute, suivant les conditions générales de son objet, purement formelle, indépendante de tout objet particulier, de toute forme concrète de perfection, de toute matière, en un mot.

De plus, cet acte premier du vouloir, à la différence de l'acte second, est, selon saint Thomas, un acte naturel, et par consé- quent nécessaire; dans lequel donc la liberté n'a aucune part. Il implique dès lors aussi, en tant qu'acte naturel, une connais- sance naturelle, c'est-à-dire innée, de son objet. Cette con- naissance naturelle, analogue selon saint Thomas à celle des premiers principes de l'ordre spéculatif, est immanente à la raison pratique sous la forme d'un habitus inné, l'habitus primorum principiorum ordinis practici, que les scolastiques ont appelé la synderesis: c'est la connaissance naturelle des con- ditions nécessaires, a priori, mais abstraites et formelles, de la perfection et de la fin dernière de l'homme: In ratione hominis insunt naturaliter quaedam principia naturaliter cognita, tam scibilium quam agendorum... in quantum inest in voluntate quidam naturalis appetitus boni quod est secundum rationem (1-2, 63, 1, c.; cfr 2, d. 39, 2, 2, ad 2; et ibid. 1, c.).

 

Cette analyse rationnelle des conditions a priori de l'acte délibéré du vouloir, qui nous a fait distinguer dans celui-ci, avec saint Thomas, un acte premier et un acte second, n'atteint cependant pas encore la racine dernière de l'activité volontaire. L'acte premier de la volonté, en effet, en tant qu'il constitue un acte de vouloir naturellement déterminé, implique, outre ce principe de détermination qu'est la connaissance naturelle de la fin dernière dont nous venons de parler, un principe déterminable, auquel s'applique cette détermination. Ce principe déterminable, c'est une motion préalable au bien, non consécutive à une connaissance, et qui n'est pas autre chose que la volonté elle-même en tant que puissance, la virtus volendi.

La volonté en tant que puissance, selon saint Thomas, n'est pas un acte de vouloir, mais une motion reçue, indépendante de toute connaissance subjective; c'est une motion au bien et à la béatitude, sans aucune détermination particulière, et que détermineront successivement l'acte premier et l'acte second de la volonté. Motion produite immédiatement par Dieu dans la nature de l'homme, comme l'inclination naturelle qui se retrouve dans tous les êtres (1-2, 9, 6, с.; Ма, 6; etc.), et par laquelle la nature humaine est inclinée à son bien et à sa per- fection d'une manière tout à fait générale et indéterminée. C'est cette motion divine qui constitue la volonté en tant que faculté du bien humain en général.

Tels sont, suivant saint Thomas, les divers principes consti- tutifs de la détermination volontaire délibérée.

Après avoir démonté, pour ainsi dire, l'acte délibéré du vouloir suivant ses parties constitutives, nous pouvons chercher maintenant à en reconstruire rationnellement le mécanisme, afin de faire apparaître le rôle propre de chacune de ces parties dans l'agencement général de la détermination volontaire.

La virtus volendi, la motion au bien, qui en est l'origine, n'est pas autre chose que l'expression générale et indéterminée de la tendance nécessaire de la nature humaine à sa perfection, qui définit la volonté comme puissance. Cette tendance elle- même ne fait que traduire dans la nature humaine l'adhésion nécessaire de tout être à ce qui le fait lui-même, à sa forme, à tout ce qui est de sa forme et à la plénitude de celle-ci, et qui l'incline nécessairement à chercher sa perfection quand il ne la possède pas: quamlibet formam, répète souvent saint Thomas, sequitur inclinatio in perfectionem formae (cfr: 3 C. G. 50.; Cp. 113). Cette inclination innée, imprimée par Dieu en toute nature, et qui est le principe directeur de l'activité de celle-ci, se trouve, dans les êtres inférieurs, entièrement déterminée; mais dans l'homme elle n'existe que sous la forme d'une motion au bien in communi, parce quela nature de l'homme exige qu'il se détermine lui-même in particulari à ce qu'il juge être son hien (1, 80, 1, c.).

Cette détermination, cette actuation de la volonté, se réalise pour l'homme en deux moments, qui sont l'acte premier et l'acte second de l'exercice du vouloir.

Il est facile de se rendre compte de la raison d'être de ce double acte que comporte l'exercice de la volonté humaine. Si l'homme possédait naturellement sa perfection dernière, il pourrait y adhérer immédiatement par un acte, où sa volonté trouverait la totalité de son objet. Mais telle n'est pas la con- dition de la nature humaine, qui par elle-même ne possède pas la totalité des déterminations par lesquelles l'homme est constitué parfait selon sa forme, mais sculement ses déter- minations essentielles, par lesquelles il est homo simpliciter (1, 5, 1, ad 1) (1). Naturellement, l'homrue ne possède donc que inchoativement sa perfection totale et dernière. Mais cette inchoatio, comme tout acte imparfait, est ordonnée néces- sairement à son achèvement et à sa plénitude. L'acte premier du vouloir traduit précisément cette ordination de la nature humaine, en tant qu'imparfaite, à sa perfection totale, sous la forme d'un vouloir nécessaire de la fin dernière. Ce vouloir premier détermine done la motion innée vers la perfection humaine en général qui constitue la virtus volendi, en l'orientant vers la forme de perfection dernière dont la nature humaine est l'inchoatio, exprimant ainsi l'exigence d'achèvement de celle-ci. C'est donc l'acte premier de la volonté, le vouloir naturel, et non la virtus volendi, la volonté en tant que puissance, qui est l'expression directe de la finalité de la nature humaine, et aussi le principe directeur normal de l'activité délibérée de l'homme.

Cette détermination première se réalise par l'intermédiaire d'un objet formel, qui est la forine abstraite de la fin dernière, naturellement présente à la conscience et aussi naturellement voulue suivant ses conditions a priori. C'est cette connaissance habituclle de la fin dernière suivant ses exigences essentielles, qui est le principe spécificateur du vouloir premier. Mais comme elle n'exprime la fin dernière que suivant ses conditions abstraites et formelles, telles qu'elles sont préfigurées dans la nature même de l'homme, ce vouloir naturel reste encore abstrait et indéterminé, c'est-à-dire qu'il n'implique, de soi, aucune matière, aucune forme concrète de bien et de perfection. Cette indétermination n'est cependant déjà plus celle de la motion au bien, car le vouloir naturel a déjà déterminé celle-ci d'une certaine manière, en l'ordonnant à la perfection dernière que l'homme exige naturellement de réaliser, à sa béatitude naturelle, en un mot. Car, il importe de ne pas le perdre de vue, cette perfection dernière qui finalise naturellement la volonté c'est essentiellement celle dont la nature, prise suivant ses conditions spécifiques, est l'inchoatio. Comme le note saint Thomas: rahil potest oridinari in aliquem finem nisi praeexistat in ipso quaedam proportio ad finem, ex qua proveniat in ipso desiderium finis; et hoc est secundum quod aliqua inchoatio finis fit in ipso: quia nihil appetit nisi in quantum appetit aliquam illius similitu- dinem. Et inde est quod in ipsa natura humana est quaedam inchoatio ipsius boni quod est naturae proportionatum. (Ver. 14, 2).

La fin dernière, objet de l'acte premier du vouloir, et connue naturellement par l'homme, c'est donc celle que celui-ci peut réaliser par ses capacités actives naturelles, par l'exercice naturel des puissances opératives de sa nature. Ainsi le vouloir naturel traduit sous une forme abstraite l'aspiration de la nature humaine à sa fin dernière, c'est-à-dire à ce degré de perfection totale qu'elle peut réaliser, et qu'elle exige d'obtenir et de posséder, pour atteindre à cette quietatio appetitus qui constitue la béatitude appropriée à la condition naturelle de l'homme.

Telle est la nature de l'acte premier du vouloir: il est essen- tiellement une première détermination, naturelle et nécessaire, de la virtus volendi, exprimant, selon ses conditions abstraites et formelles, la perfection dernière que la nature humaine, prise absolument, exige de réaliser pour être pleinement ce qu'elle doit être.

C'est cette détermination naturelle qui est le principe de tous les vouloirs en acte second. Ceux-ci ne font que la mon- nayer, si l'on peut dire, que la détailler, en lui donnant un contenu concret Quidquid vult homo, dit saint Thomas vult propter finem ultimum (1-2, 1, 6; 1, 60, 2, c.). Dans tout l'exercice de son activité volontaire, l'homme ne cherche qu'à équilibrer, par ses vouloirs délibérés, le mouvement interne, le dynamisme de son vouloir naturel.

La volonté humaine aborde donc tout objet particulier avec cette intention première nécessaire de sa perfection dernière, qu'elle veut nécessairement et toujours, jusque dans son adhésion à l'objet moralement mauvais qui l'en détourne (1). Telle est bien la pensée de saint Thomas (1, 60, 5, ad 5; Ma. 8, 2; 16, 3, ad 1; Ver. 22, 2, ad 4; 2, d. 5, 1, 2, ad 5).

On comprend aussi comment, pour saint Thomas, l'ordre de la finalité, mesuré par le vouloir naturel, et l'ordre de l'effi- cience, correspondant à l'exercice délibéré du vouloir, sont nécessairement liés l'un à l'autre; et comment l'un et l'autre sont nécessairement dépendants des capacités actives de la nature sur laquelle ils se fondent une nature ne tend qu'au bien qu'elle peut réaliser.

A la nature humaine, considérée suivant ses conditions spécifiques, correspond donc une fin dernière, à laquelle elle est ordonnée nécessairement en acte premier, et qui termine vraiment et sa tendance naturelle au bien et à la perfection, et la réalisation de celle-ci par l'exercice de ses puissances opératives sous la motion de son vouloir délibéré.


***

Si telles sont les conditions rationnelles de l'exercice de l'activité volontaire correspondant à la finalité naturelle de l'homme, n'en résulte-t-il pas que la nature humaine, prise absolument, est enfermée dans sa perfection naturelle; que celle-ci bouche, pour ainsi dire, l'horizon de ses désirs, ne laissant à la volonté aucune issue vers la béatitude parfaite et la vision divine?

Sans doute, le vouloir naturel, expression de la finalité natu- relle de l'homme, ne dépasse pas la fin dernière naturelle de celui-ci. Mais, plus profondément que le vouloir naturel, il y a, à la base de l'activité volontaire, la motion naturelle au bien, qui constitue la volonté en tant que puissance, et dont le vouloir naturel est la détermination première. Et il est facile de comprendre que cette motion prise indépendamment de sa détermination, c'est-à-dire de sa limitation par le vouloir naturel, porte, de soi, plus loin que celui-ci.

La motion, en effet, correspond à la capacité absolue et totale de perfection de la nature humaine; elle englobe dans son objet, sous forme indéterminée sans doute, toute la perfection possible de cette nature, quelle qu'elle soit. Car son objet propre est le bien comme tel, n'incluant, de soi, aucune déter- mination ni limitation: il contient en soi, d'une manière indé- terminée, tout bien, tout le bien, toute la perfection possible de la nature humaine, non sculement son bien naturel, mais aussi son bien surnaturel, si un tel bien est possible pour l'homme.

Et dans cette hypothèse la détermination naturelle de la motion au bien doit laisser place en celle-ci pour une déter- mination ultérieure possible, pour une finalisation de la nature humaine qui l'ordonne à sa perfection dernière absolue, répon- dant à l'objet adéquat de la volonté. La détermination naturelle, l'acte premier naturel du vouloir n'épuise donc pas les possi- bilités de détermination de la virtus volendi la perfection naturelle de l'homme, si elle satisfait le vouloir naturel, ne remplit cependant pas, suivant toute son amplitude, la capacité absolue de perfection de la nature humaine, connotée par la motion, au bien.

On voit dès lors comment, grâce à la motion au bien, qui ne se confond pas avec le vouloir naturel, une issue reste ouverte à la volonté humaine vers sa perfection totale absolue, même dans l'état naturel de l'homme.

On doit même aller plus loin, et dire que la motion naturelle au bien, prise en elle-même, indépendamment de toute déter- mination, implique essentiellement, à son terme dernier absolu, une relation spéciale, qu'elle n'a avec aucun autre bien concret rentrant dans son objet. La volonté, en effet, en tant que motion au bien en général, dit rapport à tout bien son mouvement même, son dynamisme propre, l'ordonne, in communi sans doute, et aussi remote si nous la considérons indépendamment de toute détermination première, à la totalité du bien de la nature humaine, tant intensive que extensive le désir naturel qui l'anime ne laisse en dehors de son objet aucune forme de bien ou de perfection. Mais les diverses formes particulières du bien humain ne se juxtaposent pas sur un même plan, pour ainsi dire, devant la volonté ainsi considérée elles sont hiérar- chisées au contraire, suivant qu'elles s'approchent plus ou moins de ce qui est le bien total absolu de la nature humaine, Il s'en suit dès lors que, sans être déterminée in particuları à aucun bien, la motion au bien tend nécessairement à culminer dans le bien dernier absolu, comme dans le terme qui réalise la totalité de son objet, et dont tous les autres biens ne sont que des participations. Elle dit vraiment relation transcendentale à ce terme, comme au maxime tale, qui est, selon l'axiome scolastique cher à saint Thomas, le principe et la cause de tout ce qui est eiusdem generis.

Cette relation transcendantale de la volonté en tant que puissance, de la virtus volendi, au bien absolument parfait, est d'ordre essentiellement métaphysique relation réelle, évidemment, constitutive de la motion, mais qui, de soi, ne se traduit pas d'une manière déterminée dans l'exercice même du vouloir; car le terme de cette relation n'est pas une perfection dont la nature est déjà formellement le commencement; c'est pourquoi aussi la perfection dernière absolue n'est pas naturel- lement connue par l'homme, n'existant pas naturellement en lui, au moins formellement, même à l'état inchoatif. La relation transcendentale de la virtus volendi au bien parfait absolu n'émergera pas d'une manière déterminée dans la conscience aussi longtemps que la nature ne sera pas ordonnée à ce bien comme à sa fin dernière nécessaire. Psychologiquement, elle est donc par elle-même une relation à un terme abstrait, indé- terminé, au plus grand bien possible de la nature humaine. A ce terme psychologiquement indéterminé doit répondre, métaphysiquement, un objet réel mais ce qu'est cet objet, l'homme ne peut le savoir avec certitude que dans la mesure où il peut connaître la possibilité de sa béatitude surnaturelle.  Aussi peut-on dire qu'il y a naturellement dans la volonté humaine un désir de voir Dieu, mais qui s'ignore.

Cette relation transcendantale de la virtus volendi au bien parfait absolu n'entraîne-t-elle pas une finalité de la nature humaine au bien surnaturel?

Non; car la finalité, entendue au sens propre d'une tendance exigeante de son terme, n'apparaît dans la volonté que sous la forme du vouloir naturel déterminant la motion au bien. Ce n'est pas par cette motion au bien que la nature humaine est finalisée, mais par la détermination première de cette motion; et le principe de cette détermination, comme nous l'avons expliqué plus haut, c'est cette connaissance innée de la fin dernière naturelle, qui préfigure dans la volonté, selon ses conditions formelles a priori, le degré de perfection corres- pondant aux capacités actives de la nature humaine. C'est cette détermination première, ce vouloir naturel, qui exprime la finalité au sens propre de la nature humaine, traduisant ses exigences et son besoin de perfection. La relation transcendan- tale de la motion au bien, de la virtus volendi, au bien parfait subsistant est donc naturellement antérieure, natura prius, à la finalité de l'être; et celle-ci ne fait que préciser jusqu'où l'activité naturelle de l'être peut atteindre dans la possession de ce bien parfait.

Mais si cette relation transcendantale ne signifie pas une finalité au sens propre, on peut dire cependant qu'elle exprime une finalité radicale et analogique de la nature humaine, une finalité inchoative, mais incomplète, non encore déterminée, et à cause de cela ineffective, au bien absolu. Elle traduit la capacité absolue de perfection de la nature humaine, capacité à laquelle doit répondre un terme qui ne peut être que le bien absolument parfait; et vers ce terme la volonté en tant que puissance doit nécessairement être portée d'une certaine manière, mais seulement d'une manière inchoative et incomplètement déterminée.

Et puisque à toute finalité doit correspondre, selon saint Tho- mas, une capacité active de réalisation de la fin, on peut dire aussi qu'à cette finalité radicale correspond dans la nature humaine une capacité radicale de réalisation de son terme, qui n'est pas autre chose d'ailleurs que l'activité naturelle elle-même. Le surnaturel, en effet, n'est pas tellement transcendant par rapport à la nature, qu'il exclue absolument toute racine en celle-ci: sans que rien de purement naturel cependant soit formellement surnaturel. C'est par sa nature, par son activité naturelle, mais renforcée et complétéc, que l'homme, élevé à l'ordre surnaturel, va vers sa fin dernière, et non par une activité totalement étrangère à sa nature, où celle-ci serait purement passive.

Cette finalité radicale et ineffective de la nature humaine par rapport à son bien dernier absolu, enveloppée d'une manière psychologiquement indéterminée dans la motion au bien qui constitue la volonté en tant que puissance, est susceptible de s'achever en une finalité au sens propre, par une détermination analogue au vouloir naturel, qui finalise la nature à sa perfection dernière absolue. Car si l'homme est appelé à sa destinée surna- turelle, il faut nécessairement que sa nature et sa volonté soient finalisées à cette nouvelle fin dernière. Dans cette hypothèse, en effet, la possession du bien dernier absolu n'est plus scule- ment une possibilité pour l'homme, mais une véritable exigence au sens propre. Pour saint Thomas, en effet, une fin dernière répond toujours à une exigence de la nature, soit essentielle, soit accidentelle; à une exigence naturelle, c'est-à-dire physique et pas seulement morale, qui est comme la préparation subjective de la nature à sa fin, qui l'adapte et la proportionne, au moins inchoativement à celle-ci, comme à son achèvement nécessaire. La volonté humaine, en effet, n'est pas telle, naturellement, qu'elle soit également apte à désirer, comme son hien nécessaire, sa fin naturelle et sa fin surnaturelle, si bien qu'il suffirait que celle-ci lui soit présentée pour qu'elle suscite dans la volonté humaine le besoin de la posséder. Autant il est impossible que naturellement la volonté désire le bien parfait absolu comme sa fin dernière, autant il est nécessaire que, une fois appelée à cette perfection, elle y soit ordonnée comme au bien dernier qu'elle exige nécessairement, de la même manière que dans l'ordre naturel, elle exige sa fin dernière naturelle, à laquelle elle est naturellement ordonnée.

Il faut donc qu'il y ait, dans la nature humaine appelée à la bćatitude surnaturelle, une disposition subjective nouvelle, une exigence nouvelle, antérieure à tout exercice délibéré du vouloir, antérieure même à la foi et la grâce sanctifiante (1), et qui finalise la nature humaine à sa destinée surnaturelle sous la forme d'un besoin nécessaire, indélibéré, du bien dernier absolu. Et cette disposition subjective, selon les principes de la psychologie thomiste, ne peut être qu'un nouvel acte premier du vouloir; car si c'est l'acte premier naturel du vouloir qui finalise la nature humaine à son bien dernier naturel, il faut aussi qu'il y ait, correspondant à sa fin dernière surnaturelle, un acte premier, non délibéré, du vouloir, qui l'ordonne néces- sairement à cette nouvelle fin dernière. Dieu, en effet, n'impose pas à l'homme sa destinée surnaturelle d'une manière purement juridique et extérieure.

Ce nouvel acte premier du vouloir n'est aucunement essentiel, sans doute, à la nature humaine, comme l'est l'acte premier naturel de la volonté; il n'est nécessaire qu'hypothétiquement; et c'est l'appel divin de l'homme à sa fin surnaturelle qui peut seul l'éveiller dans la volonté, en rendant celle-ci capable de s'actuer en acte premier suivant la totalité de l'objet auquel elle dit rapport en tant que virtus volendi.

La vocation de l'homme, par Dieu, à sa fin dernière surna- turelle, n'est donc pas seulement un appel extérieur. Antérieu- rement à tout appel extérieur, l'appel divin a déjà retenti dans les profondeurs de la nature humaine, pour y susciter un nouveau vouloir non délibéré, analogue au vouloir premier naturel, un besoin de posséder le bien parfait suivant son essence, qui n'eût pas existé dans la volonté laissée à ses con- ditions naturelles. La vocation de l'homme à sa perfection surnaturelle modifie donc physiquement la nature humaine pour l'ordonner déjà d'une certaine manière, avant toute coopération libre de sa part, à cette nouvelle destinée: ordi- nation éloignée, sans doute, car il ne s'agit pas encore ici de la grâce sanctifiante, ni d'un acte de foi, ni même de la foi habituelle, mais de cette disposition subjective préalable qui doit rendre celles-ci possibles, et qui est le besoin, l'exigence du bien dernier absolu, exprimée par un acte premier, indé- libéré du vouloir.

Et ce nouvel acte premier du vouloir impliquera, comme le vouloir naturel, une certaine connaissance innée de son objet: non pas sans doute une connaissance des vérités de la foi, accessibles seulement à l'homme par la révélation extérieure, ni une connaissance des conditions positives de la béatitude surnaturelle; mais une connaissance implicite que son objet ne peut être que le bien infini, le bien subsistant tel qu'il est en lui-même.

Et puisque toute finalité au sens propre entraîne, comme corrélatif nécessaire, les capacités actives de réaliser son terme, la vocation de l'homme à sa perfection surnaturelle impliquera nécessairement aussi, de la part de Dieu, une adaptation des conditions, tant subjectives qu'objectives, de l'action humaine, aux exigences de sa nouvelle destinée.

Ainsi, à partir de la motion naturelle au bien, qui constitue la volonté en tant que puissance, l'exercice de l'activité volontaire de l'homme est susceptible de se développer sur deux plans distincts, entre lesquels cette motion met une certaine conti- nuité. Elle peut s'exercer, à partir d'un double acte premier du vouloir, selon une double finalité complémentaire, en vue d'atteindre dans sa plénitude l'objet auquel la motion au bien dit une relation transcendantale, et qui est le bien parfait subsistant, c'est-à-dire Dieu. La première de ces finalités, naturelle, essentielle à la nature humaine, ordonne l'homme à la possession du bien parfait mais seulement dans sa mani- festation créée; la seconde, surnaturelle, gratuite, ordonne la volonté humaine au bien parfait tel qu'il est en lui-même. Et à cette double finalité correspond une double béatitude, au sens d'une quietatio appetitus, cet appétit étant celui que traduit le vouloir non délibéré. Cette double béatitude ne correspond donc pas à deux moments de la réalisation d'une seule et même fin dernière, ce qui impliquerait une seule finalité. Le rapport, qui relie l'une à l'autre ces deux béatitudes possibles de l'homme, se trouve exprimé par saint Thomas dans ce passage du De virtutibus, art. 10 Quantum ad perfectionem finis, dupliciter homo potest esse perfectus: uno modo secundum capacitatem suae naturae, alio modo secundum quamdam supernaturalem perfec- tionem, et sic dicitur homo perfectus esse simpliciter, primo autem modo secundum quid.

Telles nous semblent être, selon les principes de saint Thomas, les conditions métaphysiques de l'exercice du vouloir humain, suivant la double finalité dont est susceptible la nature humaine, et pour autant qu'elles peuvent être déterminées rationnelle- ment à partir de l'hypothèse de la possibilité de la fin dernière surnaturelle.

 

 

***

 

Cette conception de la psychologie du vouloir humain selon les principes de la métaphysique de saint Thomas doit permettre, croyons-nous, de préciser quelle fut la pensée du saint Docteur au sujet du désir naturel de voir Dieu car ce désir doit nécessairement concorder avec les principes généraux suivant lesquels il concevait l'exercice de l'activité volontaire.

Que peut signifier, selon la conception thomiste, le desiderium naturale, dont il est si souvent question dans les textes qui nous occupent? Car cette expression peut s'entendre dans des sens divers suivant les contextes soit d'un appétit naturel inné, soit d'un désir naturel élicite.

Selon saint Thomas, l'appétit naturel au sens propre est une motion innée au bien, non conditionnée par la connaissance de son objet: absque cognitione, sicut plantae et corpora inanimata (1, 59, 1, c). Cette inclination naturelle au bien est consécutive  à une forme réelle, à la forme naturelle du sujet mű par cet appétit, mais non à une forme intentionnelle, à la conception de son objet (1, 80, 1, c).

Un autre caractère de l'appétit naturel au sens propre, c'est qu'il constitue essentiellement une inclination particularisée : appetitus naturalis determinatur ad unum (1, 41, 2, c). C'est une motion ordonnée à un terme concret, physiquement inscrit en elle, pour ainsi dire, et qui la dirige, suivant une voie toute tracée, à ce terme. C'est un pondus naturae, comme le désignent les Scolastiques, analogue à la pesanteur qui entraîne la pierre vers le bas (1, 83, 1, c).

De plus, comme le note encore saint Thomas, l'appétit naturel, quoique toujours en acte, n'a cependant pas d'acte exercé par une faculté appropriée (3, d 27, 1, 2, c).

A l'appétit naturel se rattache aussi l'instinct animal, qui implique sans doute des éléments de représentation, mais non cependant une véritable connaissance de son objet qui spéci- fierait son exercice. L'instinct signifie une forme d'action concrète, préformée suivant sa structure spécifique dans la nature de l'être, et que celui-ci exerce sans la juger, qui se déclanche, pour ainsi dire, en lui à l'occasion de certaines perceptions sensibles.

Il est bien clair, et saint Thomas le dit très nettement, que l'activité humaine, l'activité volontaire, ne peut s'exercer suivant un appétit naturel au sens strict: Homo non agit naturali instinctu in particulari operabili (1, 83, 1, c).

Saint Thomas admet cependant, à l'origine du vouloir, une motion, une inclination naturelle au bien, parce que, dit-il, id quod est naturae oportet salvari etiam in habentibus intellectum (1, 60, 1, c). Mais cette inclination naturelle est, du point de vue psychologique, une motion au bien en général. Du point de vue métaphysique toutefois, comme nous l'avons dit plus haut, les exigences de la raison obligent à admettre une relation trans- cendantale de cette motion au bien à un terme dernier concret, au bien parfait absolu. Cette relation ne définit sans doute pas la motion au bien telle qu'elle se manifeste dans l'activité volontaire, puisque, ainsi considérée, elle s'exerce seulement suivant la détermination que lui apporte l'acte premier du vouloir; mais, du point de vue métaphysique, elle exprime cependant la vraie nature de la volonté en tant que puissance, sa capacité absolue en tant que motion au bien, qui doit néces- sairement se définir métaphysiquement par son terme ultime absolu.

Ainsi peut-on comprendre que certains Scolastiques aient conçu le désir naturel de voir Dieu comme une motion innée dans la volonté humaine, même indépendamment de la vocation de l'homme à sa destinée surnaturelle. Cette dénomination ne peut être acceptée, sans doute, qu'à la condition de l'entendre dans ce sens très spécial que nous venons de préciser, et nulle- ment dans le sens d'un appétit naturel au sens propre. Car la virtus volendi, en tant qu'elle dit relation transcendantale au bien parfait absolu de la nature humaine, n'a pas valeur d'un véri- table appétit inné, dirigeant, finalisant l'exercice de l'activité humaine. Elle n'est, par elle-même, dans l'exercice de l'activité volontaire, qu'un principe déterminable, orientant sans doute vers Dieu l'activité humaine, mais par l'intermédiaire de l'acte premier du vouloir, qui seul lui donne la valeur d'un principe de finalité.

Une telle conception du désir naturel de voir Dieu semble bien répondre à ce que dit saint Thomas à propos de la béatitude naturelle des enfants morts sans baptême (Ma, 5, 3). Pour eux, la peine du péché originel se réduit à une opposition de leur état avec l'inclination naturelle de Icur volonté, contra incli- nationem voluntatis (Ma, 5, 3 ad 3), inclination compatible avec l'ignorance de la béatitude dont ils sont privés. Cette ignorance de la portée de leur inclination vers le bien, chez des êtres jouissant de la plénitude de leur capacité naturelle de connaître, n'a rien d'invraisemblable: car une nature ordonnable au surna- turel ne peut se connaître pleinement elle-même que si elle est actuellement ordonnée à cette fin. La relation transcendantale de la virtus volendi au bien parfait absolu ne s'actue pleinement dans la volonté que par la nouvelle détermination première suscitée en elle par l'appel divin: c'est alors seulement qu'elle peut émerger à la conscience sous la forme d'une finalité au sens propre. Mais sans cet appel, elle reste enfouie dans l'obscurité de ces dernières profondeurs de la nature créée, que Dieu seul connaît, et que lui seul peut faire apparaître. Telles nous semblent être les conditions rationnelles d'un désir inné de voir Dieu, selon les principes de saint Thomas.

Que peut-on déduire de ces mêmes principes par rapport au désir élicite de voir Dieu?

Comme son nom même l'indique, un tel désir est un acte; il est exercé sous la forme d'un acte de la faculté de désirer, c'est-à-dire de la volonté. Il est toujours consécutif à la connaissance de son objet, qui est le principe spécificateur du vouloir.

Le désir élicite peut se présenter sous une double forme: soit comme l'acte premier de la volonté ou vouloir naturel, soit comme son acte second.

Dans l'ordre naturel, un vouloir naturel de la vision divine, même sous forme de désir, est évidemment impossible, selon les principes de saint Thomas: car il impliquerait que la nature est ordonnée au bien surnaturel comme à sa béatitude dernière nécessaire, suivant une finalité au sens strict.

Dans l'hypothèse de la vocation de l'homme à sa fin surna- turelle, par contre, un tel vouloir est non seulement possible, mais exigé, pour finaliser la nature humaine à sa béatitude surnaturelle, qui est dès lors sa seule vraie fin dernière: car pour l'homme élevé à l'ordre surnaturel, la béatitude natu- relle n'a plus valeur de fin dernière, capable de quietare appetitum.

Et comme ces conditions sont celles de l'humanité historiquement considérée, on peut dire qu'un tel vouloir se retrouve maintenant en tout homme.

De ce fait, il faut conclure que la psychologie du désir humain eat entièrement changée, et ne ressemble plus à ce qu'elle eût été dans l'homme laissé à ses conditions naturelles. Dans l'ordre naturel, en effet, le centre des désirs humains eût été la perfection divine, sans doute, mais telle que pouvait la mani- fester le monde créé, et non pas telle qu'elle est en Dieu lui- même; et de ce chef les valeurs créées auraient eu pour la volonté humaine un attrait, une puissance de séduction, et une plénitude, qu'elles ne peuvent plus avoir, maintenant que l'aspiration nécessaire de l'homme le porte au-delà de tout bien fini. Dans l'ordre naturel, on peut dire que l'homme se fût beaucoup plus intéressé au monde créé qu'à Dieu lui-même, qui lui eût apparu comme sa Cause première, transcendante et inaccessible. Et Dieu, de son côté, n'aurait eu avec son œuvre que des relations de cause à effet, et non pas des relations personnelles comme celles qui caractérisent l'ordre surnaturel. Dans l'état actuel de l'humanité, au contraire, le besoin fonda- mental de la nature humaine et son intérêt essentiel la portent vers Dieu lui-même, par un vouloir nécessaire, comme vers le seul principe de sa perfection et de sa béatitude.

Et ce besoin de Dieu ne doit pas être conçu comme consé- cutif à la foi, ou à la connaissance de la vérité révélée, qui découvrirait à l'homme sa destinée surnaturelle et susciterait en lui le désir de la posséder. Comme nous l'avons expliqué déjà, ce besoin de Dieu doit exister nécessairement, dans la nature humaine, comme l'effet premier de la vocation de l'homme à sa fin surnaturelle. Il est coextensif à l'appel de Dieu, et universel comme sa volonté salvifique. Et il est suscité dans la volonté humaine à la façon d'un vouloir premier, qui la finalise au bien parfait absolu, à la béatitude surnaturelle, comme le fait dans l'ordre naturel le vouloir naturel pour la fin dernière naturelle. Ce vouloir premier n'a d'ailleurs rien de méritoire surnaturellement, bien qu'il soit déjà une grâce surnaturelle, tant qu'il n'a pas été ratifié positivement par l'exercice de la volonté délibérée.

 

Sans doute, cette tendance à Dieu reste, en fait, obscure et implicite chez beaucoup d'hommes, surtout aussi longtemps que la connaissance de la vérité révélée ne lui a pas permis de prendre d'elle-même une conscience explicite. Mais elle n'en est pas moins active pour cela; et elle constitue en particulier la dispo- sition psychologique nécessaire à l'acceptation de la révélation, et à l'intelligence des signes qui la manifestent. D'ailleurs, une analyse phénoménologique bien conduite du désir humain, tel qu'il se révèle dans l'action humaine, ne manquerait pas de mettre en évidence, dans la psychologie concrète de l'homme, ce besoin du bien dernier transcendant.

Telles étant les conditions rationnelles d'un désir élicite de voir Dieu sous forme d'acte premier du vouloir, comment un tel désir pourra-t-il s'exprimer en acte second?

Notons d'abord que le vouloir en acte second ne fait qu'expri- mer concrètement, en le détaillant, l'objet du vouloir naturel, dont il n'est que l'achèvement: ex naturali voluntate causantur omnes aliae voluntates, dit saint Thomas (1, 60, 2, c).

Dès lors, la vision de Dieu ne peut être désirée, au moins d'un désir parfait, que et dans la mesure où elle est voulue naturellement. Or, dans l'ordre naturel, aucun vouloir premier n'eût déterminé la volonté à désirer la vision divine. Aucun désir de celle-ci, expression d'un vouloir délibéré, n'eût donc été naturellement possible pour l'homme; puisqu'un tel désir ne peut naître dans la volonté que s'il rentre dans l'objet de sa finalité au sens propre.

Mais dans l'ordre naturel un désir de voir Dieu n'eût-il pas été possible, sous la forme d'un souhait velléitaire tout au moins?

Un tel désir, sans doute, qui n'est que l'expression d'une volonté incomplète, n'eût rien cu de contraire aux conditions métaphysiques de l'exercice du vouloir humain: une fois connue l'existence de Dieu, l'homme aurait certes pu souhaiter de connaître Dieu tel qu'il est en lui-même. Nous ne pouvons cependant que difficilement nous rendre compte de la signifi- cation qu'aurait eue un tel désir dans la psychologie, si différente. de la nôtre, de l'homme laissé à sa condition naturelle. On pourrait y voir l'affleurement à la conscience de cette finalité radicale du vouloir vers le bien absolument parfait, dont nous avons parlé plus haut. Mais ce désir n'eût pu être que problé- matique et incertain, ne pouvant se fonder avec certitude sur la possibilité de son objet, que la foi seule peut garantir pleinement.

On dira peut-être que cette conclusion reste bien en deçà de celle de saint Thomas.

Sans doute, les textes du Saint Docteur paraissent, à pre- mière vue, conclure d'une manière beaucoup plus affirmative. Nous doutons cependant que son intention, dans ces passages, ait été de conclure d'une manière absolue, en se basant unique- ment sur la raison. Car son raisonnement est avant tout apolo- gétique: il veut montrer à ses contradicteurs que sa croyance en la possibilité de la vision divine par l'intelligence créée n'a rien de contradictoire et d'absurde, comme ils le prétendaient; et, pour cela, une conclusion, même en soi uniquement pro- bable, du point de vue de la pure raison, était suffisante; et il ne devait nullement, pour les réfuter, aller jusqu'à leur faire partager sa certitude à lui. Cette conclusion n'a donc, semble- t-il, du point de vue purement rationnel au moins, qu'une valeur relative, une valeur apologétique mais non apodictique.

Un désir élicite de voir Dieu, dans le sens d'un acte second du vouloir, ne peut avoir la pleine valeur d'un désir absolu et sûr de lui-même, que s'il est fondé sur une certitude de foi, qui lui garantisse la possibilité de son objet.

Nous pourrions donc, en manière de conclusion, résumer ainsi ce qui nous semble être la pensée de saint Thomas au sujet du désir naturel de voir Dieu: il y a naturellement dans la volonté humaine un désir de la vision divine, indépendant de la vocation de l'homme à sa destinée surnaturelle: désir radical, inchoatif, psychologiquement indéterminé, quoique incluant une relation métaphysique au bien dernier absolu, c'est-à-dire à l'essence divine. Ce désir, dans l'ordre naturel, n'eût jamais pu prendre de lui-même une conscience certaine. C'est l'appel divin qui l'éveille et l'actue dans la volonté d'une manière déterminée, et lui donne de pouvoir se traduire en un désir élicite sûr de son objet, et expression d'une finalité surnaturelle au sens propre.

Nous ne voudrions pas affirmer que cette interprétation de la pensée de saint Thomas soit incontestable; mais elle nous paraît bien être celle qui s'harmonise le mieux avec l'ensemble de sa conception métaphysique du vouloir humain.

Eegenhoven-Louvain.

Ed. BRISBOIS, S. I.

கருத்துகள் இல்லை:

கருத்துரையிடுக